Le « RER » Grand Lille : une fausse bonne idée ?

Publié le 2 décembre 2013

L’idée d’un RER entre Lille et le bassin minier semble refaire surface, à en croire l’actualité récente (1). Lancé une première fois il y a trois ans, ce projet cher à Daniel Percheron, le Président du Conseil Régional Nord-Pas-de-Calais, vise à répondre aux difficultés de déplacement entre Lille et l’ancien bassin minier.

Le principe de ce projet est de créer une nouvelle infrastructure ferroviaire entre Hénin-Beaumont et Lille-Flandres, avec 3 ou 4 gares nouvelles (Lesquin au niveau de l’aéroport, Seclin, Carvin et Hénin-Beaumont au niveau de la friche Ste-Henriette). L’objectif est d’assurer des liaisons par trains rapides cadencés, avec un maximum de 12 trains par heure. Ce projet ferroviaire, estimé entre 1,2 et 1,5 miliard d’euros, semble, à première vue, séduisant et ambiteux. Mais, avant d’être considéré comme la solution miracle, de nombreuses questions restent en suspens. Lille Transport revient sur les faiblesses du projet.

Renforcement de l’offre : vrai problème, fausse solution ?

Pour augmenter l’offre de transport entre Lille et le Bassin Minier, le réseau ferroviaire TER a un talon d’Achille : les nombreux passages à niveau. Ceux-ci limitent le potentiel de cadencement de la ligne. Cependant, sur cet aspect, plusieurs opportunités de renforcement de l’offre doivent être appronfondies avant d’envisager une nouvelle ligne ferroviaire. Notons que tous ces scénarios nécessitent de l’investissement public, mais pas toujours à la même hauteur que le RER envisagé.

Premier volet : les trains

Pour augmenter la capacité ferroviaire, on peut déjà augmenter la capacité des trains, par leur composition (longueur des rames). En Suisse, les trains circulent rarement à une fréquence inférieure au ¼ d’heure. Cependant, la fréquence est garantie toute la journée et la capacité des trains (c’est à dire un ensemble de voitures ou de « caisses ») est autrement plus grande qu’en France. Voir par exemple, le RER Bernois qui va renforcer sa fréquence au ¼ d’heure avec des trains à double niveau qui dépassent régulièrement 100 mètres (2). Les gares doivent bien entendu être adaptées en conséquence, mais inutile de créer une nouvelle infrastructure parallèle tant que les trains de haute capacité ne sont pas remplis. Un scénario qui rappelle celui choisit par Lille Métropole pour le métro.

Deuxième volet : l’infrastructure TER existante

Pour assurer un cadencement « serré », on peut aussi envisager d’intervenir sur les passages à niveau. Moderniser une voie ferroviaire structurante apparaît toujours comme un bon calcul même s’il existe une dizaine de PN à traiter entre Lille et Hénin-Beaumont/Douai (coût : entre 3 et 4,5 millions d’euros en moyenne le passage à niveau soit une envoloppe approximative globale d’environ 50 milions).

Troisième volet : l’infrastructure LGV existante

La Ligne à Grande Vitesse « Nord » est largement utilisée par les TGV Paris-Lille, intersecteurs et trains internationaux à grande vitesse. Cependant, à l’image des TER-GV, un raccordement au niveau de Dourges ou d’Hénin-Beaumont au réseau TER permettrait de relier via la LGV le centre de Lille et les villes du bassin minier. Il reste tout de même à étudier la faisabilité d’un raccordement ainsi que la possibilité d’obtenir des sillons pour faire circuler des trains cadencés. Une gare nouvelle au niveau de la friche Ste-Henriette ainsi qu’une 3ème voie le long de la LGV sont des scénarios alternatifs (mais coûteux) pour répondre aux limites évoquées. Comme exemple, on peut citer le train entre Anvers et la gare nouvelle de Noorderkempen à Brecht. Ce train classique utilise la LGV en direction d’Amsterdam – certes largement moins fréquentée – pour offrir un service « métropolitain » cadencé à l’heure (3).

Dernier volet : la nouvelle infrastructure

C’est le volet qui présente une grande capacité de développement de la fréquence, mais qui pose – vu le coût de l’investissement – de nombreuses autres questions (ci-dessous).

Des gains de temps qui laissent perplexe

Déjà, en matière d’infrastructure, la justification de nouveaux projets par les gains de temps qu’ils procurent semble complètement anachronique. En effet, le mythe absolu de la vitesse semble révolu à en croire différents chercheurs comme Vincent Kaufmann : « Les recherches menées sur la mobilité montrent que, nettement plus qu’il y a une vingtaine d’années, l’utilisateur des transports demande du confort. Plus qu’une diminution de la quantité de temps que prennent ses déplacements, il est sensible à la qualité de ce temps. La faute à internet, au wifi, aux tablettes et aux ordinateurs et téléphones portables » (4). Les usagers seraient donc à la recherche de confort pour valoriser le temps de trajet et de fiabilité de la durée du déplacement.

En outre, les chiffres avancés n’ont pas de quoi nous faire pâlir d’envie. Les prévisions parlent de 21 minutes pour faire le trajet de Lille-Flandres à Ste-Henriette - c’est à dire pour l’instant au milieu de nul part. Nul doute que des projets urbains vont voir le jour sur ce secteur stratégique d’ici à l’ouverture de ce projet (2025). Mais pour l’instant, quoi de mieux que le TER qui nous dépose quelques centaines de mètres plus loin à la gare d’Hénin-Beaumont située à deux pas du centre-ville ? Le tout en 26 minutes pour la plupart des TER. Pas de quoi s’enflammer pour le RER ! D’autres prévisions sont encore plus anecdotiques, comme Lille-Tourcoing en 12 minutes contre 14 minutes aujourd’hui (hé oui, il y a aussi des trains pour aller de Lille à Tourcoing, on aurait tendance à l’oublier).

Le choix de l’empilement des réseaux

Le projet de nouvelle infrastructure entre Lille et le bassin minier pourrait répondre à des besoins, si toutefois toutes les pistes d’optimisation entre les différents réseaux existants étaient épuisées. Bien que des progrès ont été réalisés (notamment au niveau tarifaire et des pôles d’échanges), il reste d’importants efforts à fournir sur l’intégration des différentes offres régionales, départementales et urbaines. Pas seulement du point de vue de l’aménagement, mais aussi sur le plan des services, de la tarification ou de l’information. Toutes les pistes de progrès en matière d’articulation des différents transports à l’échelle régionale n’ont pas été explorées et on est toujours en droit d’attendre une action plus volontariste du SMIRT – Syndicat Mixte Intermodal Régional des Transports -, censé agir sur ces questions. Donc avant le RER, optimiser l’existant semble prioritaire.

Le problème c’est que, au lieu de faciliter l’amélioration des interfaces, le dessin même du RER est de nature à créer de nouvelles concurrences entre les réseaux. A l’image de la ligne 2 de métro entre Lille et Tourcoing, qui s’est juxtaposée au train et au tramway, le RER se superpose au TER existant, voire même aux opportunités régionales du réseau LGV (TER-GV Lille-Arras). De plus, il est difficile d’imaginer, dans un contexte budgétaire difficile, que l’argent dépensé sur ce projet sera sans conséquence pour le reste du réseau régional : dans quelle mesure l’entretien du réseau TER, le niveau de l’offre, le renouvellement des matériels, etc., seront impactés par l’éventuel RER ?

Gares « neuves » au milieu de parkings

La création de plusieurs gares sur le nouveau tracé est envisagée : une aérogare à Lesquin est évoquée tout comme une nouvelle gare à Seclin, Carvin et donc à Ste-Henriette. Alors que la plupart des gares existantes ont besoin d’un sérieux lifting, la création de nouvelles haltes interroge. Que va-t-on faire des gares historiques de Lesquin, Seclin et Hénin-Beaumont pourtant particulièrement bien situées par rapport au tissu urbain ? Quant à la nouvelle halte prévue à Carvin, il est réducteur de dire que cette commune n’a pas de gare : à moins de 4 km, on accède d’un côté à la gare de Provin et de l’autre à celle de Libercourt. De plus, les exemples sont nombreux pour démontrer la fragilité du modèle proposé. Les « gares bis » ou « ex-urbanisées » du réseau TGV n’ont attiré que des parkings ou presque. Le RER comporte un véritable risque d’attiser la périurbanisation dans ce secteur en encourageant l’accès en voiture aux gares « neuves ». La priorité aux gares bien insérées dans le tissu urbain accessible d’abord à pied doit être absolue.

Quel coût pour l’usager ?

La question du coût pour l’usager doit également être posée. Une nouvelle infrastructure avec de nouveaux matériels roulants et une offre cadencée, cela a un coût. Or, difficile de penser que le trajet Lille-Hénin en 26 minutes à 6€40 sera au même prix avec le RER ; il faudra bien rembourser l’investissement ! L’accès aux gares sera probablement régulé par une tarification du stationnement, comme pour les nouvelles gares TGV. Ce n’est pas en soi une aberration mais cela peut être irritant pour les usagers, surtout en l’absence d’autres possibilités de rabattement vers les gares « neuves ».

Quel coût pour la collectivité ?

La collectivité peut prendre en charge le surcoût de l’exploitation du RER (un peu à l’image du TER-GV) pour garantir des prix équivalents au TER actuel, mais dans ce cas, ce sera le contribuable qui paiera la note.

Sur les coûts d’investissement, le budget avancé de la gare souterraine (4 quais) de Lille Flandres est de 227 millions d’euros. Pour comparer, même si la nature des projets est assez différente, les 4 quais sous la gare d’Anvers, c’est plus d’1 milliard d’euros (1,6 milliards pour l’ensemble du projet) et on avance 2,5 milliards pour la gare souterraine à Marseille. Disons que pour Lille-Flandres, ça ressemble à une gare souterraine low-cost ou à une estimation erronée.

Le projet de gare souterraine surprend aussi car, à quelques centaines de mètres, la ville de Lille dispose d’un site ferroviaire de 23 ha en friche, l’ancienne gare St-Sauveur. Ce site, dont on réfléchit en ce moment à son avenir, est potentiellement connecté au métro et permettrait de desservir les projets urbains alentours (Siège de Région, Euralille 2 et Porte de Valenciennes). Maintenir une fonction ferroviaire à St-Sauveur a du sens afin d’étendre l’espace nodal lillois et d’ouvrir de nouvelles opportunités territoriales ; certainement plus que creuser sous la gare de Lille-Flandres.

Pour les autres gares, on avance 23 M€, ce qui semble là encore un peu minimaliste. La gare Lorraine TGV sur le site de Louvigny, d’une architecture minimaliste, a coûté 30 millions d’euros, alors qu’elle ne posait absolument aucun problème d’insertion sur un foncier agricole plat très peu coûteux. On peut imaginer que l’insertion d’une gare dans ce secteur périurbain est bien plus complexe et que le foncier est sensiblement plus cher.

Que le président de Région demande une aide de l’Etat, à l’image des investissement pour le réseau du Grand Paris ou récemment à Marseille, est assez opportun. Par contre, ce serait vraiment dommage de gaspiller ce soutien par un projet passant à côté des grands enjeux régionaux.

Révélateur de l’absence de vision territoriale ?

Les navettes des "pendulaires" de l’ancien bassin minier vers Lille Métropole augmentent, c’est indéniable. Face à ce constat, deux positions sont possibles :

- Répondre à la demande par une augmentation de l’offre de transport dans une sorte d’interminable course à l’échalote. «  Il n’y aura jamais assez de transport dans le Nord-Pas-de-Calais » a d’ailleurs prévenu le président de la Région NPDC sur France Bleu Nord, le 22/11/2013
- Ou travailler à réduire le déséquilibre en matière d’emploi par une panification territoriale ambitieuse à l’échelle régionale. La mobilité ici n’est que le reflet d’une organisation territoriale déséquilibrée.

Le projet de RER choisit la première option, mais est-ce que le seul horizon des habitants de l’ancien bassin minier est de venir travailler à Lille ?

Pour finir, le hasard veut que, à quelques jours d’intervalle, on parle de la relance du projet RER et de la fermeture de plusieurs guichets dans les gares SNCF (5). Peut-être faudrait-il d’abord se préoccuper du réseau existant afin de lui inventer un avenir meilleur que le déclassement.


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